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En un monde parfait Laura Kasischke


Date de publication : 29/01/2022
Catégorie : LECTURE 

En un monde parfait Laura Kasischke


Biographie


Née en 1961 à Grand Rapids, dans l’État du Michigan, elle fait des études supérieures à l'Université du Michigan.

 Elle devient ensuite professeur de langue anglaise et d'écriture au Résidential Collège de l'Université du Michigan à Ann Arbor (Michigan).

 Elle amorce sa carrière en littérature par la parution de plusieurs recueils de poésie dans les années 1990, certains publiés par les presses de l'Université du Michigan, d'autres ayant connu une parution dans des revues ou gagné de nombreux prix littéraires, dont le Hopwood Awards.

En parallèle à son activité de poétesse, elle devient romancière à partir de 1997 et la parution de À Suspicious River (Suspicious River).

Elle vit actuellement à Chelsea ,dans le Michigan, avec sa famille



1. Ses romans, bien accueillis en France, sont traduits chez Christian Bourgois éditeur ; sa poésie et ses nouvelles sont traduites aux éditions Page à Page.


 Ses œuvres

Romans • Suspicious River (1997) Publié en français sous le titre À Suspicious River, traduit par Anne Wicke, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1999 •

 White Bird in a Blizzard (1999) Publié en français sous le titre Un oiseau blanc dans le blizzard, traduit par Anne Wicke, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2000  •

 Boy Heaven (2007) Publié en français sous le titre Rêves de garçons, traduit par Céline Leroy, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2007 •

Be Mine (2007) Publié en français sous le titre À moi pour toujours, traduit par Anne Wicke, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2007 • Feathered (2008) Publié en français sous le titre La Couronne verte, traduit par Céline Leroy, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2008 •

Eden Springs (2010) Court roman publié en français sous le titre Eden Springs, traduit par Céline Leroy, Lille, éditions Page à Page, 2018 (ISBN 978-2-37527-038-7) ; postface de Lola Lafon •

 The Raising (2011) Publié en français sous le titre Les Revenants, traduit par Éric Chédaille, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2011 •

Mind of Winter (2013) Publié en français sous le titre Esprit d'hiver, traduit par Aurélie Tronchet, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2013 Nouvelles •

 If a Stranger Approaches You (2013), publié en français sous le titre Si un inconnu vous aborde, traduit par Céline Leroy, Lille, éditions Page à Page, 2017 Poésies •

Mariées rebelles, Page à page, 2016 • 

Où sont-ils maintenant. Anthologie personnelle  (Where Now), de Laura Kasischke, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sylvie Doizelet, Gallimard,

 « Du monde entier », 396 p.


 En un monde parfait Une dystopie, rondement menée où l’on s’attache à tous les personnages, à l’exception du prince charmant qui fort heureusement disparaît vite de nos écrans radar.

Résumé

Jiselle, trentenaire et toujours célibataire, croit vivre un véritable conte de fées lorsque Mark Dorn, un superbe pilote veuf et père de trois enfants, la demande en mariage. Sa proposition paraît tellement idyllique qu'elle accepte aussitôt, quittant les tracasseries de sa vie d'hôtesse de l'air pour celle, a priori plus apaisante, de femme au foyer. C'est compter sans les absences répétées de Mark, les perpétuelles récriminations des enfants et la mystérieuse épidémie qui frappe les États-Unis, lui donnant des allures de pays en état de guerre.

Tandis que les événements s'accélèrent autour d'elle, l'existence de Jiselle prend un tour dramatique, l'obligeant à puiser dans ses ressources pour affronter cette situation inédite…

 Ecrit en 2007, paru en 2009 aux USA et paru chez Bourgois en français en 2010, ce roman est terriblement d’actualité !

1- Le roman d’une pandémie

Un thème qui n’est pas nouveau en littérature.

Par exemple Le Hussard sur le toit de Giono avec pour toile de fond une épidémie de choléra en Provence en 1838 et La Peste de Camus : dans une expression dépouillée et méticuleuse, un narrateur chronique la propagation d’une épidémie de peste carabinée à Oran, en Algérie dans les années 40.

On appelle la maladie dans ce roman, la zoonose hémorragique. Plutôt que la grippe de Phoenix.

 Et dès l’exergue une citation de Daniel Defoé, tirée du « Journal de l’année de la peste » nous met sur la piste de la pandémie.

 a- Les causes de la pandémie

 Diverses et souvent farfelues entre rumeurs, communiqués scientifiques, articles dans les médias...

-Les oiseaux en grand nombre qui envahissent les villes? « ces oiseaux paraissaient en bonne santé mais qui pouvait dire de quelle sorte de virus ils étaient porteurs ou ce que présageait ce type de comportement ? »

 P 214 -le non-respect de la Nature :

« Il faut bien trouver un responsable à la grippe de Phoenix, déclara un jour Paul Temple. Nous sommes comme les flagellants au temps de la Peste noire. Nous pratiquons l’autoflagellation. Notre société ne craint plus Dieu. Du coup ce n’est plus Lui qui nous châtie pour nos péchés, c’est forcément l’environnement qui nous punit en raison de nos voitures trop gourmandes en carburant. »

 P 230 -« Ces gens imputaient au téléphone portable les pannes de courant et la grippe : les radiations émises par les antennes relais recouvraient le pays de vibrations aussi délétères qu’invisibles qui perturbaient l’environnement et plongeaient les oiseaux dans l’égarement. »

P 210 -Imputer le fléau à l’étranger :

« Un journaliste de CNN(rapporte) que l’on se demandait si la grippe de Phoenix n’avait pas pour origine l’importation de cheveux en provenance de pays émergents » (cf Le pangolin...)

 « Un scientifique coréen avait créé la bactérie à l’origine de la grippe de Phoenix » P 340

« Cette thèse ne semblait pas plus invraisemblable que les autres cause qu’on avait pu avancer :phytothérapie, réchauffement global, raisins contaminés, guerre bactériologique,, mauvais karma, chats infectés, sexe à l’adolescence. »

 P240 Chaque état des États-Unis se renvoie la responsabilité de la propagation de la maladie (P230)

b- conséquences de la pandémie

-les rats (cf La Peste de Camus. C’est un grand classique des pandémies !) p172 à 176 qui finissent d’ailleurs par disparaître de même que la gent ailée.

 P284 -les bêtes qui meurent et forment de gigantesques charniers. P261 -les pénuries : électricité, carburant, nourriture, etc. -la fermeture des écoles. -la mort : celle de Bobby , le fils de Paul Temple , particulièrement horrible.

 -L’euthanasie des pensionnaires à l’hospice municipal. P 291 -l’éclatement des cellules familiales : celle de Paul Temple, celle de Marc et Jiselle.

-une société qui part à la dérive dans tous les excès.

 Le roman fait écho à nos conduites actuelles en réaction à la propagation du coronavirus. Face à l’appréhension du chaos, l’insouciance et l'urgence de vivre à toute vitesse. On pense aux rave-parties pendant le confinement... « Pourquoi attendre ? était devenu une sorte de mantra. [...] Les médias associaient la guerre, la peur de la grippe, ce climat aussi chaud qu’inquiétant, au comportement des adolescents et des adultes. Des bars étaient bondés au milieu de la journée. Les liaisons entre collègues de travail étaient monnaie courante. Grossesses imprévues et grossesses programmées. Il y avait, semblait-il, une femme enceinte à chaque coin de rue et un bébé dans sa poussette sur chaque trottoir. Les garçons qui n’étaient pas incorporés dans l’armée après le lycée se marginalisaient pour devenir poètes. On rapportait qu’à Las Vegas il était si fréquent que des joueurs restent devant leur machine à sous jusqu’à tomber d’épuisement que des ambulances attendaient, moteur en marche, derrière les casinos. Les chapelles célébrant les mariages vingt-quatre heures sur vingt-quatre ne désemplissaient pas. Il se consommait autant de champagne que les magasins de spiritueux avaient adopté le principe d’une seule bouteille par client afin d’éviter les réactions violentes de ceux qui trouvaient les rayonnages vides »

P45 -actes de vandalisme, meurtres.

Chicago dévastée P 239 -une Nature qui reprend ses droits sur la ville, l’envahit. c

-Mais cette écriture permet aussi de traiter la problématique de l’enfermement. Comment vit-on l’isolement provoqué par la pandémie ? 

-Les Schmidt enfermés dans leur maison,repliés sur eux-mêmes. -Marc : on se pose des questions sur son enfermement en Allemagne où il est « retenu »...La pandémie et son départ révèlent en lui tout ce qui est mauvais : mari volage, père qui abandonne ses enfants, égoïste. Il s’inquiète pour sa Mazda quand sa femme seule à gérer la situation dramatique, lui téléphone qu’elle doit la conduire. Paul Temple : il fait figure du sage. Se montre combattif jusqu’à la mort de Bobby son fils. Le fait qu’il prenne la route pour aller en Virginie ? Rejoindre sa femme qui l’a quitté ?

Jiselle : elle est à l’opposé des autres personnages et construit « un monde parfait » au fur et à mesure que la pandémie prend de l’ampleur. On la voit reconstruire une famille disloquée : Sara sa belle-fille qui la détestait devient proche d’elle,

Sam devient un enfant de substitution, elle règle ses problèmes avec sa mère qu’elle va chercher à Chicago à la fin, elle recueille la vieille Mme Schmidt condamnée à l’hospice.

Et surtout elle se détache de son mari volage et toxique.

 2-Un portrait au vitriol de la middle class américaine d'aujourd'hui.

  Laura Kasischke tord le cou à cette Amérique consumériste.C’est une critique de la société de consommation, des excès en tous genres : les grosses voitures qui polluent, le non-respect de la nature, des animaux, le chacun pour soi. L K nous montre au début du roman comment ces petits bourgeois, issus de classe aisée (elle est hôtesse de l’air, il est pilote avec le prestige de l’uniforme) qui dépensent leur argent à tort et à travers : bijoux, hôtels de luxe.

Son héroïne, Jiselle, confrontée à une situation de plus en plus difficile, se montre capable de s’adapter, de se remettre en question.

Et de trouver un bonheur vrai en dehors de cette société de consommation.

 LK se moque de ces gens qui continuent à s’agglutiner au supermarché comme si c’était un phare ou une étoile : « Il y a toujours un Wal-Mart, dit Camilla, et il est toujours ouvert »

P189 alors que les environs sont plongés dans les ténèbres suite aux pannes d’électricité sporadiques. Ironie aussi de la situation : les présentoirs de lampes de poches qui avaient été vidés pendant la panne de courant se retrouvent à nouveau pleins lorsque le courant revient dans le supermarché, « rapportées par des clients ayant décidé qu’ils n’en avaient plus besoin »

P 192 « A quoi bon deux revenus si l’on ne pouvait s’offrir le standing pour lequel on travaillait ? Si on ne pouvait mettre de l’essence dans deux voitures, sans parler de se faire installer un jacuzzi, pourquoi l’un des membres du couple ne resterait-il pas à la maison à s’occuper des enfants, à plier le linge et préparer de bons diners »

  Critique aussi des médias :

« Les médias mettraient en corrélation la peur de la grippe, de la guerre, du réchauffement climatique, de la fin des temps, et le nombre de femmes qui quittaient le monde du travail.

 Critique de l’Amérique qui se prend pour le nombril du monde-un thème qui revient souvent dans les romans de LK- et dans cette histoire se retrouve au ban de tous les autres pays, avec ce virus, et à laquelle on applique le procédé : pollueur payeur en grande largeur (les Américains en quarantaine dans les aéroports c’est très drôle !)

 3-

Dès le départ on est dans l’atmosphère propice au conte, LK sème des indices comme le Petit Poucet ses cailloux :

 • En exergue du roman une citation d’Andersen :

 « ...et les branches, chargées de fleurs, se refermèrent sur eux.. » - Le fantasme de Jiselle, c’est vivre dans l’univers du conte, le recueil des contes d’Andersen que son père lui lisait.P41.

Elle s’y réfugie.

-Jiselle vit « un conte de fées » lorsqu’elle rencontre le beau Marc à 32 ans.

 -on note aussi l’évocation aussi de la vieille dame, passagère furieuse dans l’avion, au début du roman qui lui lance « une malédiction »,

« un sort » P31 -Et l’atmosphère féérique dans laquelle se complait l’héroïne (et que souligne non sans malice LK !) se poursuit avec l’apparition de la maison en rondins au fond des bois dans un cadre champêtre idyllique.P92 .

Les contes d’Andersen dont est friande Jiselle sont un fil rouge dans la progression de l’int

rigue. -Jiselle lit à Sam le conte d’Andersen tout au long du temps du roman « La famille heureuse » d’Andersen « dans lequel une bien naïve famille de colimaçons envie sottement ses cousins, les escargots au beurre. »P 140

 Avec l’amplification de la pandémie, on observe comme un retour à un monde d’avant quasi féérique: « [Les enfants] composaient de superbes sauvageons dans leur étrange tenue – les filles en jupe légère et corsage dépareillés, les cheveux en désordre telles des princesses païennes, des créatures de la forêt, éclairées par le feu, jambes et bras nus rougeoyant. Et, hilare entre ses sœurs, Sam en jean coupé, torse nu, mi-humain, mi-elfe. On aurait dit des enfants d’avant la civilisation, d’avant la télévision et les ordinateurs, les vaccins, la restauration rapide et les avions à réaction ».

 Un indice parmi d’autres : le soulier offert par Marc qui évoque Peau d’Ane et qu’on retrouve au fil du roman.

 L’oie, appelée Béatrice, est un personnage central de conte.

 L'oie est un oiseau associé à une mythologie très ancienne et à un complexe ensemble de symbolisme dès l’Antiquité avec les oies du Capitole, dans beaucoup de cultures chinoises, amérindiennes, etc.

Evidemment on pense aux contes de Ma Mère l’Oye de Perrault ! Enfin, comme dans les contes, l’héroïne doit affronter une succession d’épreuves qu’elle franchit peu à peu pour finalement trouver un équilibre. C’est aussi un parcours initiatique qui la fait se trouver...mieux que la psychanalyse. Le fantastique ou surnaturel que l’on retrouve fréquemment dans les romans de LK est très présent :

-L’apparition nocturne du fantôme d’Annette, l’amie chère de Jiselle.P322

 -La métamorphose de la nature qui devient angoissante, vénéneuse P308.

-le couguar qui a pris possession de la maison des Schmidt. LK met à distance cet univers féérique tantôt en le sublimant, tantôt en le noircissant, jouant ainsi avec les codes du conte...et avec les attentes du lecteur !

Et surtout en utilisant l’humour...

 L’humour voire l’ironie LK utilise avec humour certains extraits de contes qui collent avec l’histoire en train de se dérouler : ainsi la phrase du conte: « Au même moment apparut sur le pas de la porte, le drôle de vieux bonhomme qui vivait seul au dernier étage »coïncide avec l’arrivée de la vieille Mme Schmidt qui frappe à la porte. Et la phrase prononcée par Mme Schmidt fait sourire : « Je suis une petite vieille » Cet humour peut virer à l’humour noir. Laura Kasischke en a fait une marque de son écriture.

 Elle fait mourir Britney Spears, le couple Angelina Jolie-Brad Pitt ne peut plus rentrer aux USA après leur mariage sur un bateau en pleine mer pour éviter l’épidémie... Elle est d’une ironie mordante pour peindre les excès de l’Amérique consumériste ou les rumeurs farfelues concernant la pandémie. Mais elle sait aussi se montrer poétique et tendre quand elle évoque par exemple le plaid confectionné par sa mère et sa belle-fille qui est un patchwork de tous les costumes qu’elle a portés au cours de sa vie (P366-367)


Conclusion :

A la première lecture,

En un monde parfait est un roman post-apocalypse qui se concentre sur la reconstruction  d'une famille quand le monde tout autour d'elle semble s'écrouler.

Quand on le relit plus attentivement, ce qui en fait le charme, c’est ce subtil mélange de réalisme jusqu’à l’horreur et d’atmosphère féérique ou surnaturelle.

Toujours avec la distance de l’humour sous-jacent de LK .

(La conclusion du roman : est-ce bien un avion que la famille entend dans le ciel ce qui pourrait signifier la fin de la pandémie et le retour à la vie « normale » , « la fin d’un monde parfait » ?

 On n’a pas envie que la pandémie s’arrête !)

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