« Moisson rouge » de Dashiell HAMMETT

« Moisson rouge » de Dashiell HAMMETT •

2009 / chez Gallimard, Folio policier, «nouvelle traduction intégrale» de l’américain par Nathalie Beunat et Pierre Bondil, dédié à Thompson Shaw.

• 1928 / Titre original « Red harvest », publication chez Alfred Knopf.

• 1950 / « La moisson rouge », chez Gallimard, collection « Série noire » sous la direction de Marcel Duhamel, traduction de l’américain par J.P.Herr, revue avec Henri Robillot.

*** 1. Résumé

Après la guerre 14/18 passée en Europe, de retour à Personville, marié à une française, à la demande de son père le vieil Elihu Willsson, Donald Willsson a pris la fonction de patron de presse. Elihu Willsson «  baron voleur » possède toute la ville bâtie sur les mines et l’industrie.

Aussi nommée « Poisonville » la ville est aux mains d’une bande de gangsters et bootleggers qui a pris le contrôle de la municipalité, de la police et d’Elihu Willsson (tout le monde y est potentiellement corruptible) depuis que lui-même a fait appel aux truands pour l’aider à briser les grèves de mineurs (référence à Butte en Pennsylvannie en 1917).

Appelé par Donald Willsson, le détective qui restera « sans nom » de l’Agence Continental de San Francisco (semblables à la célèbre agence Pinkerton et le Continental Op.) arrive pour apprendre que son client a été assassiné.

Elihu Willsson engage le détective pour trouver le meurtrier de son fils, celui ci accepte mais en contre partie s’engage à quitter la ville seulement après l’avoir « nettoyée » (le roman fonde ainsi ce qui deviendra l’archétype du détective hard-boiled).

Sans rendre compte au « Vieux » patron de l’agence, avec l’aide de deux collègues et la complicité involontaire d’une femme courtisane locale avide d’argent, le détective applique une méthode implacable…cynique...mais efficace : dresser les uns contre les autres jusqu’à élimination totale.

Un ordre retrouvé sous « l’effet de la loi martiale », pour combien de temps ?

(Les lois fédérales, le FBI avec Hoover commencent à peine / 1924).

2. Dashiell HAMMETT

(1894 Baltimore / 1961 New York)

Né dans la ferme de son grand père cultivateur de tabac dans le Maryland, à 14 ans, il quitte l’école pour aider son père dans une petite affaire. Il fuit ensuite sa famille pour vivre d’emplois divers : vendeur de journaux, manœuvre sur les voies ferrées, garçon de courses…

En 1918 Il s’engage dans l’armée qu’il quitte en 1919 avec le grade de sergent.

Embauché par l’agence de détective Pinkerton dès 1915, il démissionne et quitte le métier de détective quand l’agence est missionnée pour casser les grévistes.

Il côtoie la grande pauvreté et aussi les magouilles des élus et la mafia (se reporter à la déception générée par le président W Wilson 1913/1921 qui a engagé son pays dans la guerre, aux scandales et la corruption sous la présidence de W.G.Harding 1921/1923).

Se prenant de passion pour l’écriture et la littérature il commence à écrire et à être publié dès 1922 dans les magazines peu chers et populaires « pulps » dont « Black mask »

Ne comptant plus sur la justice il s’engage socialement.

Proche du parti communiste il restera fidèle à ses engagements, sera chassé d’Hollywood ; après la seconde guerre mondiale, pendant la guerre froide, il sera interrogé arrêté et emprisonné. Hammett ne publiera que 5 romans écrits entre 1922 et 1934

« La clé de verre »,

« La moisson rouge »,

« Le faucon maltais »,

« L’introuvable »,

« Sang maudit » ;

un certain nombre de nouvelles qui seront peu publiées et tardivement.

3. La reconnaissance littéraire est un parcours dans l’édition et le travail d’écriture

Pour tous les romans de Hammett le parcours est le même que pour « Moisson rouge »

Publié sous forme de feuilleton dans la presse populaire c’est Thompson Shaw, en 1927, qui remarque le style de Hammett et l’encourage à standardiser l’écriture et les personnages (dont celui du détective).

Ensuite, en 1929, viendra Blanche Knopf qui lui demandera de travailler l’écriture, de faire des coupes dans les passages violents, de regrouper les différents épisodes et de construire le récit en chapitres sous un seul titre de roman.

La reconnaissance littéraire viendra surtout en France (le qualificatif de roman « noir » ne sera adopté aux Etats unis qu’en 1980).

Entre 1920 et 1940 les surréalistes, très présents outre Atlantique, se sont déjà intéressés à ce type de polar.

Mais c’est surtout après la guerre que les éditions Gallimard s’en empareront pour plusieurs raisons : un engouement pour la culture américaine, la perte d’intérêt pour les romans policiers à énigme (Rocambole, Hercule Poirot…), l’écriture « behavioriste » qui emporte l’adhésion de Gide, Cocteau, Sartre, de Beauvoir, Queneau, Vian et Malraux…

Gallimard a besoin de faire de la trésorerie et confie l’aventure de la « Série noire » à Marcel Duhamel.

Les auteurs anglais et américains seront les premiers publiés : 1950 pour «  La moisson rouge ».

4. Roman noir, roman social et populaire qui séduit aussi le cinéma Dans sa monographie de 1994 « Dashiell HAMMETT / underworld USA » Jean Pierre Deloux nous dit que le roman noir « ne dit que ce que nous pourrions voir ou entendre si on était présent comme un cameraman ». Pas de rhétorique tel un rapport de police objectif dans la présentation des évènements ; des dialogues brefs-concis-incisifs ; pas de digression sur la psychologie des personnages ou de description de paysage ou de recherche d’indices engendrant des séries de déductions. L’agir, gestes et comportements, dominent le récit.

Le roman noir séduit aussi parce qu’il parle des réalités et des « arrangements » de la vie qui peuvent être violents et sordides, le détective (le « privé ») intervenant pour tenter de remettre de la justice, une frontière morale et humaine.

Lire William Burnett, Raymond Chandler, David Goodis, Horace Mac Coy, Harry Whittington, Charles Williams, Chester Himes… Les héritiers en France ? Jean Patrick Manchette, Didier Daeninckx, Thierry Jonquet…

Lire Benoit Tadié « Front Criminel. Une histoire du polar américain de 1919 à nos jours » chez PUF /2018

Lire et relire « Sanctuaire » de William Faulkner, « Manhattan Transfer » de Dos Passos, « La note américaine «  de David Grann, « Deadood » de Pete Dexter….

Un roman noir américain contemporain … à l’ombre de la statue de la liberté…« Daecon King kong » de James Mac Bride.

(Pour « Moisson rouge » j’ai mis en italique des références à l’histoire des États Unis entre 1920 et 1930, violente avec le monde du travail et les émigrés …

Sacco et Vanzetti, dans la répression sanglante des grèves, la corruption…

Al Capone, après une guerre sanglante aussi).